Portrait
Marianne Faithfull, 56 ans, anglaise. La chanteuse, égérie des Rolling Stones, est toujours revenue d'être allée trop loin.
Sister phénix
Par Marie-Dominique LELIEVRE
jeudi 30 janvier 2003
Marianne Faithfull
en 9 DATES
29 décembre 1946
Naissance à Hampstead.
1963
Rencontre John Loog Oldham à une fête.
1968
«La Motocyclette», film de Jack Cardiff, avec Alain Delon.
10 novembre 1965
Naissance de son fils Nicholas.
1978
Album «Broken English» (Island).
1985
Hospitalisation aux Etats-Unis.
12 juillet 1993
Naissance de son petit-fils Oscar.
3 octobre 1998
Naissance de son petit-fils No.
2002
Album «Kissin' Times» (Virgin).
«My father promised me roses, my mother promised me storms» : son père lui promettait des roses, sa mère des orages. Marianne Faithfull chante Like Being Born, une ballade nostalgique de son dernier album, Kissin' Times. Sa silhouette scintille dans une chose griffée Chanel Haute Couture offerte par Karl (Lagerfeld), derrière elle trois musiciens mal éclairés massacrent les morceaux. Dans l'obscurité de l'Olympia, des stylistes de mode, des attachées de presse, des publicitaires, des petites actrices précautionneusement trash.
Shootée à l'aspartam, une voix réclame Sister Morphine. La chanson de 1969, fabriquée alors que Marianne n'avait pas encore touché à l'héroïne, et qui lui vaut quelques stock-options dans la haute finance rock. Marianne Faithfull s'enflamme contre le consommateur de sensations fortes, qu'elle fouette à grandes salves de «fuck». C'est son show, bullshit, son show à elle, qu'il aille se faire foutre, dit-elle, sophistiquée et crue, très Dietrich transformée en Renaud. «Chanter Sister Morphine, c'est promouvoir la morphine. Il voulait me voir jouer ce rôle», dira-t-elle plus tard, dans le lobby du Plazza Athénée où sa maison de disques la loge durant sa tournée, comme un Rolling Stone. La morphine ? Elle a déjà bien assez de mal avec le patch de nicotine que lui tend son fiancé-manager, François Ravard, et qu'elle tente de coller à la saignée du coude. Avec sa voix rauque, elle peut tout chanter, pop, jazz, folk, rock, opéra. Elle chante aussi bien avec les Chieftains, un groupe traditionnel irlandais (harpe et cornemuse) qu'avec Metallica (heavy metal) et interprète Kurt Weill. Pas seulement des tubes vintage.
L'Olympia, Marianne y est venue la première fois à 19 ans. Elle chantait en première partie de ce type, le Dylan français. «Hugues Aufray, yes, yes, oh, il chante encore ?»Elle venait d'avoir son fils Nicholas, elle prononce «Niquelasse». Elle l'allaitait dans les coulisses, en vissant sur sa tête de bébé un petit chapeau pour lui éviter la surdité. Bruno Coquatrix et sa femme venaient les chercher dans leur luxueuse DS, plus fabuleuse qu'une Rolls ou qu'une Bentley. Secouez-là, elle est pleine de souvenirs, qu'elle raconte avec des mains qui s'envolent, une minuscule hirondelle tatouée à la naissance du pouce. Elle les ponctue de rires effrayants achevés dans des quintes de toux, méritant son surnom : «the famous cough». Kleenex, please, François.
Nounou, manager, souffre-douleur, Ravard est vêtu d'une veste rayée, à la doublure effilochée : celle de Gainsbourg, livrée il y a des lustres par le même tailleur. Ravard a été le manager de Téléphone, «les French Rolling Stones». En 1963, Andrew Loog Oldham, le producteur des Stones, croise Marianne dans une fête : «J'ai rencontré un ange avec des gros seins et je l'ai signée.» Il voulait bricoler une petite chanteuse sur le modèle des Françaises comme Françoise Hardy. A 17 ans, Marianne venait d'épouser John Dunbar, un marchand d'art très hype. Managés par Oldham, les Rolling Stones n'étaient alors qu'un groupe de rhythm'n'blues de banlieue, qui adaptait des standards américains, comme Johnny en France. As Tears Go By, la chanson que les Stones écrivirent pour le premier single de Marianne à la demande d'Oldham, est le premier titre qu'ils aient créé. En août 1964, Marianne entre au Top 10. Outre des seins de madone, elle a une jolie voix travaillée au couvent. Née dans le très chic Hamsptead, elle est une fille de bonne famille. Son père, le major Glynn Faithfull, un excentrique fauché, a déçu les rêves de sa mère, la baronne Eva von Sacher-Masoch. Viennoise en exil, divorcée, elle élève Marianne comme une princesse promise au bonheur éternel. Promesse tenue, à sa façon euphorisante, par l'héroïne, que Marianne consomme jusqu'à l'âge de 40 ans. «Je n'ai aucun sens des limites.» Hospitalisée et sevrée aux Etats-Unis, elle découvre la vie réelle. Un exemple : elle subit une rage de dents des semaines durant, sans une plainte, parce qu'elle imagine que, sans drogue, souffrir est normal. L'affaire finira par une opération ouverte de la mâchoire. «La race des gladiateurs n'est pas morte. Tout artiste en est un. Il amuse le public avec ses agonies», écrivait Flaubert.
Le patch se décolle, Marianne allume une Marlboro light. Elle porte des babies offertes par Marc (Jacobs), un sac Chanel matelassé donné par Karl (Lagerfeld). Elle ne ressemble plus à la fille en cuir qui jouait avec Delon dans la Motocyclette, mais blonde au visage fin, elle est très mignonne. Si la diacétylmorphine fait partie de sa légende, elle s'en passerait bien. Dans les riches heures de la vie de Marianne figurent sa présence, nue sous une couverture de fourrure, au moment de l'arrestation de Jagger et Richard pour possession d'amphétamines ; sa liaison avec Mick (Jagger, 1967-1970) ; sa vie de SDF, au début des années 70 ; ses années de défonce. Elle s'y est cabossée. Y a perdu la garde de son fils «Niquelasse». Lequel, aujourd'hui, se venge en écrivant de très sérieux best-sellers économiques. Mais Marianne a ses
filleules adoptives. C'est le genre de personne qui est allée très loin, trop loin, et qui fascine ceux qui n'iront jamais nulle part. Dans Sliding through Life on Charm, écrite avec Jarvis Cocker, le chanteur de Pulp, elle se demande pourquoi en banlieue, les filles de 17 ans veulent vivre une vie comme la sienne. «Alors que ça n'a pas été drôle du tout.» Kate Moss, Carla Bruni, Zazie : Marianne est le protomodèle des top models qui font carrière dans la rébellion chic. De Marianne, elles samplent des fragments comme un DJ duplique des sons, sans connaître la musique. Fiancés popstars, accessoires, coupes de cheveux, tout est recyclable. «J'aime beaucoup Kate, elle est adorable. Elle est plus intelligente que moi : elle a eu des ducs et des millionnaires, mais surtout elle a gagné sa vie.» Des filles à petits seins, avec les pieds sur terre : à l'opposé de la définition de Loog Oldham.
Marianne, elle, ignore où elle s'installera à la fin de sa tournée. Après cette vie sur note de frais, ses possessions sont stockées à Dublin, dans une chambrette. Son rêve ? Choisir un réfrigérateur. On lui apporte un paquet enrubanné, accompagné d'une carte. Une admiratrice lui fait un cadeau. Elle déballe, son petit nez très fin en émoi. Une énorme bague en strass en forme d'étoile.
Lorsqu'elle l'enfile, la bague se brise. Elle n'ose pas balancer les débris. Un leurre encombrant, comme le star system.
Par Marie-Dominique LELIEVRE
jeudi 30 janvier 2003
Marianne Faithfull
en 9 DATES
29 décembre 1946
Naissance à Hampstead.
1963
Rencontre John Loog Oldham à une fête.
1968
«La Motocyclette», film de Jack Cardiff, avec Alain Delon.
10 novembre 1965
Naissance de son fils Nicholas.
1978
Album «Broken English» (Island).
1985
Hospitalisation aux Etats-Unis.
12 juillet 1993
Naissance de son petit-fils Oscar.
3 octobre 1998
Naissance de son petit-fils No.
2002
Album «Kissin' Times» (Virgin).
«My father promised me roses, my mother promised me storms» : son père lui promettait des roses, sa mère des orages. Marianne Faithfull chante Like Being Born, une ballade nostalgique de son dernier album, Kissin' Times. Sa silhouette scintille dans une chose griffée Chanel Haute Couture offerte par Karl (Lagerfeld), derrière elle trois musiciens mal éclairés massacrent les morceaux. Dans l'obscurité de l'Olympia, des stylistes de mode, des attachées de presse, des publicitaires, des petites actrices précautionneusement trash.
Shootée à l'aspartam, une voix réclame Sister Morphine. La chanson de 1969, fabriquée alors que Marianne n'avait pas encore touché à l'héroïne, et qui lui vaut quelques stock-options dans la haute finance rock. Marianne Faithfull s'enflamme contre le consommateur de sensations fortes, qu'elle fouette à grandes salves de «fuck». C'est son show, bullshit, son show à elle, qu'il aille se faire foutre, dit-elle, sophistiquée et crue, très Dietrich transformée en Renaud. «Chanter Sister Morphine, c'est promouvoir la morphine. Il voulait me voir jouer ce rôle», dira-t-elle plus tard, dans le lobby du Plazza Athénée où sa maison de disques la loge durant sa tournée, comme un Rolling Stone. La morphine ? Elle a déjà bien assez de mal avec le patch de nicotine que lui tend son fiancé-manager, François Ravard, et qu'elle tente de coller à la saignée du coude. Avec sa voix rauque, elle peut tout chanter, pop, jazz, folk, rock, opéra. Elle chante aussi bien avec les Chieftains, un groupe traditionnel irlandais (harpe et cornemuse) qu'avec Metallica (heavy metal) et interprète Kurt Weill. Pas seulement des tubes vintage.
L'Olympia, Marianne y est venue la première fois à 19 ans. Elle chantait en première partie de ce type, le Dylan français. «Hugues Aufray, yes, yes, oh, il chante encore ?»Elle venait d'avoir son fils Nicholas, elle prononce «Niquelasse». Elle l'allaitait dans les coulisses, en vissant sur sa tête de bébé un petit chapeau pour lui éviter la surdité. Bruno Coquatrix et sa femme venaient les chercher dans leur luxueuse DS, plus fabuleuse qu'une Rolls ou qu'une Bentley. Secouez-là, elle est pleine de souvenirs, qu'elle raconte avec des mains qui s'envolent, une minuscule hirondelle tatouée à la naissance du pouce. Elle les ponctue de rires effrayants achevés dans des quintes de toux, méritant son surnom : «the famous cough». Kleenex, please, François.
Nounou, manager, souffre-douleur, Ravard est vêtu d'une veste rayée, à la doublure effilochée : celle de Gainsbourg, livrée il y a des lustres par le même tailleur. Ravard a été le manager de Téléphone, «les French Rolling Stones». En 1963, Andrew Loog Oldham, le producteur des Stones, croise Marianne dans une fête : «J'ai rencontré un ange avec des gros seins et je l'ai signée.» Il voulait bricoler une petite chanteuse sur le modèle des Françaises comme Françoise Hardy. A 17 ans, Marianne venait d'épouser John Dunbar, un marchand d'art très hype. Managés par Oldham, les Rolling Stones n'étaient alors qu'un groupe de rhythm'n'blues de banlieue, qui adaptait des standards américains, comme Johnny en France. As Tears Go By, la chanson que les Stones écrivirent pour le premier single de Marianne à la demande d'Oldham, est le premier titre qu'ils aient créé. En août 1964, Marianne entre au Top 10. Outre des seins de madone, elle a une jolie voix travaillée au couvent. Née dans le très chic Hamsptead, elle est une fille de bonne famille. Son père, le major Glynn Faithfull, un excentrique fauché, a déçu les rêves de sa mère, la baronne Eva von Sacher-Masoch. Viennoise en exil, divorcée, elle élève Marianne comme une princesse promise au bonheur éternel. Promesse tenue, à sa façon euphorisante, par l'héroïne, que Marianne consomme jusqu'à l'âge de 40 ans. «Je n'ai aucun sens des limites.» Hospitalisée et sevrée aux Etats-Unis, elle découvre la vie réelle. Un exemple : elle subit une rage de dents des semaines durant, sans une plainte, parce qu'elle imagine que, sans drogue, souffrir est normal. L'affaire finira par une opération ouverte de la mâchoire. «La race des gladiateurs n'est pas morte. Tout artiste en est un. Il amuse le public avec ses agonies», écrivait Flaubert.
Le patch se décolle, Marianne allume une Marlboro light. Elle porte des babies offertes par Marc (Jacobs), un sac Chanel matelassé donné par Karl (Lagerfeld). Elle ne ressemble plus à la fille en cuir qui jouait avec Delon dans la Motocyclette, mais blonde au visage fin, elle est très mignonne. Si la diacétylmorphine fait partie de sa légende, elle s'en passerait bien. Dans les riches heures de la vie de Marianne figurent sa présence, nue sous une couverture de fourrure, au moment de l'arrestation de Jagger et Richard pour possession d'amphétamines ; sa liaison avec Mick (Jagger, 1967-1970) ; sa vie de SDF, au début des années 70 ; ses années de défonce. Elle s'y est cabossée. Y a perdu la garde de son fils «Niquelasse». Lequel, aujourd'hui, se venge en écrivant de très sérieux best-sellers économiques. Mais Marianne a ses
filleules adoptives. C'est le genre de personne qui est allée très loin, trop loin, et qui fascine ceux qui n'iront jamais nulle part. Dans Sliding through Life on Charm, écrite avec Jarvis Cocker, le chanteur de Pulp, elle se demande pourquoi en banlieue, les filles de 17 ans veulent vivre une vie comme la sienne. «Alors que ça n'a pas été drôle du tout.» Kate Moss, Carla Bruni, Zazie : Marianne est le protomodèle des top models qui font carrière dans la rébellion chic. De Marianne, elles samplent des fragments comme un DJ duplique des sons, sans connaître la musique. Fiancés popstars, accessoires, coupes de cheveux, tout est recyclable. «J'aime beaucoup Kate, elle est adorable. Elle est plus intelligente que moi : elle a eu des ducs et des millionnaires, mais surtout elle a gagné sa vie.» Des filles à petits seins, avec les pieds sur terre : à l'opposé de la définition de Loog Oldham.
Marianne, elle, ignore où elle s'installera à la fin de sa tournée. Après cette vie sur note de frais, ses possessions sont stockées à Dublin, dans une chambrette. Son rêve ? Choisir un réfrigérateur. On lui apporte un paquet enrubanné, accompagné d'une carte. Une admiratrice lui fait un cadeau. Elle déballe, son petit nez très fin en émoi. Une énorme bague en strass en forme d'étoile.
Lorsqu'elle l'enfile, la bague se brise. Elle n'ose pas balancer les débris. Un leurre encombrant, comme le star system.